Un bel exemple de reconversion d'un joueur vers l'arbitrage et un super témoignage. Eh oui, les joueurs, même au plus haut niveau ne connaissent pas les lois du jeu !
Gaël Angoula : «Jamais je ne me serais vu arbitrer»
(Publié le jeudi 6 septembre 2018 à 18:55 sur l'Equipe.fr par Antoine Maumon de Longevialle)
Étiqueté sanguin durant sa carrière, l'ancien défenseur Gaël Angoula s'est découvert une passion pour l'arbitrage, il y a deux ans. Il officie déjà en National.
Gaël Angoula n'en est plus à une surprise près. En 2012, c'est à trente ans passés qu'il avait découvert la Ligue 1, à Bastia. Sans être passé par un centre de formation et après avoir connu la prison, neuf ans plus tôt (1). À trente-six ans, et après des passages à Angers et Nîmes (en L1 et L 2), l'ancien latéral parfois impulsif a raccroché les crampons... pour prendre le sifflet. Quatrième arbitre de Bordeaux-Strasbourg (0-2, 1re journée) et Dijon-Caen (0-2, 4e journée), il exerce déjà en National. Ce vendredi soir, il sera aux commandes de Concarneau-Pau, «avec la même excitation» que quand il était joueur. Ce qui le surprend lui-même.
«Plus jeune vous étiez réfractaire à l'autorité, aujourd'hui vous l'incarnez. Comment le basculement s'est-il opéré ? C'était à Nîmes, fin 2016. Les lundis, en salle d'étirement et de musculation, je croisais Nicolas Rainville, qui m'avait arbitré en Ligue 1. J'ai commencé à échanger avec lui et à lui poser plein de questions : "Comment se passent vos déplacements ? Vos stages ? Vos relations avec les collègues ?" Je regardais ses matches et je lui demandais pourquoi il avait sifflé ça et pas ça, j'essayais de comprendre ses déplacements. Les lundis, c'était cool : j'avais hâte de débriefer. En janvier (2017), je lui demande s'il existe des passerelles vers l'arbitrage pour les joueurs pro. Il se renseigne et me dit qu'il faut avoir été pro cinq années et avoir au plus trente-quatre ans au 1er janvier de l'année de sa candidature. C'était parfait pour moi, mais j'avais encore un an de contrat à Nîmes. J'étais dans une impasse : si je ne déposais pas ma candidature à ce moment-là, je loupais cette possibilité de reconversion puisque j'avais pile trente-quatre ans.
Vous avez arrêté votre carrière de joueur pour devenir arbitre ? C'est ça. J'ai fini ma saison et j'ai rompu ma deuxième année de contrat en accord avec Nîmes. Ça peut surprendre !
Surtout quand on connaît votre parcours. Vous étiez aussi catalogué comme un joueur agressif... J'ai eu cette étiquette-là parce que j'ai eu des accrochages avec des adversaires médiatisés (notamment un avec Zlatan Ibrahimovic) et dans un club (Bastia) qui était dans la tempête médiatique. Quand on pense à Gaël Angoula, on pense à "voyou de terrain", mais je n'ai reçu qu'un carton rouge en pro et un en amateur.
Comment, en seulement un an et demi, êtes-vous passé de votre découverte de l'arbitrage à diriger des matches de National ? Début mars (2017), on me permet d'arbitrer un match de moins de 17 ans Excellence. Je me rends compte de la difficulté des courses et des prises de décision, mais je prends du plaisir. Donc, je fais les démarches auprès de Pascal Garibian, le directeur technique de l'arbitrage, et d'Éric Borghini, le président de la commission fédérale des arbitres. Leur confiance a été déterminante. Nicolas Rainville m'a transmis le bouquin des lois du jeu en me disant : "Pour la théorie, tu dois apprendre ça." Bien sûr, en tant que joueur, je n'en connaissais strictement rien ! Je ne savais même pas qu'il y avait dix-sept lois, ni même qu'il y avait des "lois du jeu"... J'ai traîné ce pavé partout : en déplacement, dans le vestiaire, en salle de muscu, quand j'étais invité quelque part... Je révisais partout, je n'avais que trois mois et demi avant la théorie.
Comment vos coéquipiers à Nîmes ont-ils réagi ? Ils ont rigolé, mais ils ont vite arrêté de me chambrer en voyant que c'était sérieux. Donc, en juin, j'ai passé ma théorie : des mises en situation et une dissertation. Quand tu dois te replonger à trente-quatre ans dans la méthodologie d'une dissertation, ce n'est pas simple... J'ai eu 14 ou 15, puis j'ai passé la pratique, et j'ai été promu deux fois en seulement quelques mois. Je suis plus que content. Il y a un an, je n'étais pas sûr d'avoir ma théorie, j'ai pris des risques en me mettant au chômage pour basculer dans une reconversion. J'avais bossé dur en tant que joueur, mais c'était différent. Là, j'ai vraiment bossé. Deux semaines avant la théorie, je dormais à la Ligue du Languedoc-Roussillon pour travailler. C'était entraînement à 9 heures, puis douche à la maison, ma femme me donnait une gamelle et je retournais à la Ligue réviser tout l'après-midi et toute la nuit. J'ai dû mettre ma famille de côté alors que j'avais deux enfants et que ma femme était enceinte d'un troisième.
Quel est le plus étonnant quand on passe du côté des arbitres ? C'est le travail qu'on doit faire. Qu'il soit athlétique, mental ou de préparation des matches. Pour Concarneau-Pau (ce vendredi soir), j'ai regardé deux matches de Concarneau et deux de Pau. Dire que les arbitres sont dans leur bulle et qu'on ne peut pas leur parler, c'est clairement une idée reçue. Arbitrer, c'est être dans une fonction où on s'intéresse à l'autre : aux joueurs, au staff. Quand je prépare mes matches, je me renseigne sur tout le monde. Quand j'étais joueur, je faisais comme si l'arbitre n'était pas là. Je ne savais pas qui c'était. Je ne pouvais même pas te dire quelle avait été la couleur de son maillot.
Comprenez-vous mieux certaines décisions que vous contestiez en tant que joueur ? Complètement. Et juste en apprenant les lois du jeu. Si vous me sortez cinq joueurs de Ligue 1 ou Ligue 2 qui connaissent les lois du jeu, je vous paie le resto. En les découvrant, j'ai compris pourquoi les arbitres avaient pu me prendre pour une bête. Ils ne font que les appliquer, et toi tu te permets de les contester alors que tu ne les connais pas.
C'est quoi le mieux : jouer ou arbitrer ? Je dirais arbitrer, parce que ça donne plus de responsabilités. Mais si j'avais été plus jeune, je n'aurais pas pu. Quand les mecs arbitrent à quinze ou dix-sept ans un match de DH face à des adultes, il faut être très costaud. Après, l'arbitrage te fait aussi grandir et mûrir : ça te donne des responsabilités énormes, comme un gars qui est papa à quinze ans.
Votre passé de joueur vous apporte-t-il un plus par rapport à vos collègues arbitres ? Ça m'arrivait de dégoupiller sur un terrain. Je peux donc sentir le moment où le joueur va avoir un comportement déviant afin de l'en empêcher. Il y a autre chose : pour un truc que je vais siffler, le gars ne va rien me dire parce que j'ai été joueur et qu'il m'accorde une légitimité, alors qu'un autre arbitre pourra se faire contester - ce qui n'est pas forcément juste.
Aujourd'hui, vous demandez-vous pourquoi presque aucun joueur pro ne veut devenir arbitre (2) ? Tout à fait. J'étais réfractaire à l'autorité, d'accord. Il y a encore deux ans, jamais je ne me serais vu arbitrer. Mais je n'ai jamais été aussi passionné par quelque chose. Chaque situation est différente et peut prêter à discussion. Ce n'est pas du tout figé, c'est ce qui est intéressant. J'en ai parlé avec des joueurs, j'en connais des tonnes qui aimeraient arbitrer. »
(1) Le joueur n'a pas souhaité préciser la durée ni la cause de son incarcération.
(2) Le seul autre exemple en activité est Jérémy Stinat (39 ans), ex-joueur de L 2 entre 2002 et 2011, arbitre en L 1 depuis cette saison.
Gaël Angoula en bref
36 ans.2017 : le 31 mars, il dispute quatorze minutes du match Nîmes- Valenciennes avec le maillot gardois. Il s'agit de sa dernière apparition chez les pros. 2018 : le 3 août, il arbitre son premier match de National, Chambly-Le Mans (2-2). À cette occasion, il sort trois cartons jaunes.
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